L’article 12 bis de l’ordonnance n° 2020-306 doit être complété de manière à faciliter la purge des autorisations d’urbanisme et à assurer que des ventes immobilières puissent reprendre plus rapidement. Tribune de Vincent LE GRAND Universitaire et consultant en droit de l’urbanisme, Jean-François ROUHAUD Avocat associé du Cabinet LEXCAP et Jean-Philippe STREBLER Universitaire (associé) et cadre territorial

 

La question du caractère définitif d’une autorisation d‘urbanisme est essentielle car en dépend un très grand nombre de transactions immobilières. Or le caractère définitif d’une autorisation d‘urbanisme ne résulte pas que de l’absence de recours des tiers ou du préfet. Il dépend également du droit de retrait conféré à l’auteur de la décision. Ce fait semble malheureusement avoir été perdu de vue dans le dispositif mis en place pour faire face à la crise sanitaire actuelle.

En effet, l’article 8 de l’ordonnance du 15 avril 2020 a doté l’ordonnance 2020-306 du 25 mars 2020 d’un nouveau titre II bis. Ce nouveau titre II bis contient les articles 12 à 12 quinquies dont l’objet, en matière d’urbanisme, est de réduire la période de suspension ou de prorogation d’un certain nombre de procédures, pour la faire coïncider avec la fin de l’état d’urgence sanitaire, soit le 24 mai, sans mois supplémentaire.

L’article 12 bis vise ainsi précisément « les délais applicables aux recours et aux déférés préfectoraux à l’encontre d’une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d’un permis de construire, d’aménager ou de démolir ». Ces délais sont suspendus (s’ils ont commencé mais ne sont pas achevés à la date du 12 mars 2020) ou prorogés (s’ils devaient débuter à compter du 12 mars 2020) selon les cas. La purge des délais applicables aux recours engagés contre des autorisations pourra donc reprendre dès le 24 mai 2020 et non pas, comme le prévoyait la version initiale de l’ordonnance 2002-306, dès le 24 juin. Selon le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance du 15 avril 2020, l’objectif recherché est d’éviter la paralysie du secteur de la construction.

L’article 12 bis ne s’applique qu’aux recours engagés contre des autorisations ou décisions de non-opposition. Dès lors, les recours engagés contre des refus de permis de construire ou de permis d’aménager, par exemple, sont placés sous un régime de suspension ou de dérogation dont la date d’échéance reste et demeure le 24 juin (article 2 de l’ordonnance du 25 mars 2020). Cela peut se comprendre s’il s’agit de ne pas retarder davantage les transactions immobilières.

Mais l’article 12 bis ne concerne en rien le délai de retrait des autorisations d’urbanisme accordées dont la purge est pourtant extrêmement importante dès lors qu’elle conditionne, dans bien des cas, la régularisation de ventes et l’engagement des travaux.

Le retrait d’une autorisation d’urbanisme est possible dans un délai de 3 mois à compter de la date de la décision concernée (tacite ou explicite), en application de l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme.

Faute d’entrer dans le champ d’application de l’article 12 bis, le délai de retrait d’un permis de construire ou d’aménager continue de relever de l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020. Cet article 7 est rédigé comme suit : « les délais à l’issue desquels une décision […]  peut ou doit intervenir ou est acquis implicitement et qui n’ont pas expiré avant le 12 mars 2020 sont, à cette date, suspendus jusqu’à la fin de la période mentionnée au I de l’article 1er  » (de l’ordonnance 2020-306), autrement dit jusqu’à la date du… 24 juin 2020. Car, dans ce cas de figure, la suspension n’est pas abrégée d’un mois.

Il semble qu’il y ait là une incohérence évidente s’il s’agit pour les pouvoirs publics de purger au plus vite les autorisations d’urbanisme dans le but de faire redémarrer les chantiers.

Prenons un exemple :

Un permis de construire est délivré le lundi 2 mars 2020 (date de la signature). Il est notifié le mercredi 4 mars (date de réception de l’arrêté) et affiché sur le terrain le jeudi 5 mars.

Le délai de recours des tiers étant un délai franc, il débutera le lendemain de son affichage sur le terrain, donc le vendredi 6 mars à 0 h 00. Le 12 mars à 0 h 00, le délai sera suspendu en application de l’article 12 bis de l’ordonnance du 25 mars 2020. A cette date, 6 jours francs se seront écoulés.

Le délai de recours sera en mesure de reprendre le 24 mai 2020 pour la durée durant à s’écouler, soit 2 mois moins 6 jours. Selon nos calculs, le permis de construire sera donc purgé de recours le 17 juillet 2020 à minuit.

Le délai de retrait de ce permis commence quant à lui à courir à la date de sa signature, soit le 2 mars et devait normalement se terminer le 2 juin 2020 (article L. 424-5 du code de l’urbanisme). Ce délai de retrait sera donc suspendu le 12 mars à 0 h 00. A cette date, 10 jours sont écoulés.

La suspension du délai de retrait est soumise actuellement aux dispositions de l’article 7 de l’ordonnance 2020-306. Le délai de retrait ne reprendra qu’à compter du 24 juin pour 3 mois moins 10 jours. Selon nos calculs, le permis de construire sera dans ce cas purgé du retrait…. le 14 septembre 2020.

En résumé, et si l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 n’est pas modifiée, un permis de construire accordé le 2 mars ne serait définitif que le 14 septembre du fait de la dissociation des régimes de suspension des délais de recours et de retrait.

La situation manque également de cohérence pour les autorisations accordées depuis le 12 mars. S’agissant par exemple d’une autorisation accordée le 20 avril 2020, elle pourra faire l’objet d’un recours jusqu’au 24 juillet 2020 (article 12 bis alinéa 2). Mais en application de l’article 7 de l’ordonnance du 25 mars 2020, le point de départ du délai du délai de retrait est reporté au 24 juin 2020. Cette décision pourra donc être retirée jusqu’au 24 septembre 2020.

Cette malfaçon qui entache à l’évidence le dispositif et le prive de cohérence et d’efficacité doit conduire le Gouvernement à modifier dès que possible l’article 12 bis de l’ordonnance du 25 mars 2020 pour faire entrer dans son champ d’application « les délais applicables au retrait des décisions de non-opposition, des permis de construire, permis d’aménager et permis de démolir ».

Un troisième alinéa pourrait ainsi être ajouté à l’article 12 bis prévoyant, par exemple, que les deux premiers alinéas de cet article s’appliquent au délai de retrait des mêmes décisions, prévu par l’article L. 424-5 du code de l’urbanisme.

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