S’ils ont été imaginés dès 1902, les périmètres de protection des captages d’eau, voués à pérenniser la qualité de l’eau destinée à la consommation humaine, sont longtemps restés un outil inusité. Ainsi, en 2009, seuls 56,6 % des 34 000 points de captage bénéficiaient d’une telle protection.

Dans un contexte de préservation de la ressource, et de pollution diffuse, la mise en œuvre du Grenelle de l’Environnement du 3 août 2009 a renforcé l’utilité de ce dispositif qui conduit à instituer, sur un bassin d’alimentation, d’importantes restrictions aux activités humaines.

Schématiquement, le dispositif aujourd’hui codifié à l’article L.1331-2 du Code de la Santé Publique, conduit le Préfet à instaurer, par déclaration d’utilité publique et au profit des collectivités, trois types de périmètre de protection :

  • Le périmètre de protection immédiate, qui est obligatoire et correspond à l’environnement proche du point d’eau. Ce périmètre, dont l’accès est interdit, doit être acquis par la collectivité.
  • Le périmètre de protection rapprochée correspond à la zone de vulnérabilité du captage d’eau. Son institution s’accompagne, par conséquent, de l’interdiction ou de la réglementation des activités qui sont susceptibles de générer une pollution du point d’eau.
  • Le périmètre de protection éloignée correspond au bassin d’alimentation étendu au sein duquel les activités humaines les plus polluantes peuvent être réglementées.

Dès lors qu’ils génèrent d’importantes contraintes pour les propriétaires (interdiction des  constructions, interdiction de créer un élevage, suppression des cultures et mises des parcelles en prairie permanente,…), l’instauration de tels périmètres de protection doit s’accompagner d’une indemnisation.

Cette indemnisation et, ses principes sont simples lorsqu’il s’agit du périmètre de protection immédiate : la propriété devant devenir propriétaire, elle doit conclure une vente amiable ou, à défaut, obtenir l’expropriation du terrain concerné. Cette situation ne sera donc pas abordée ici.

En revanche, la situation est plus complexe s’agissant des périmètres de protection rapprochée et de protection éloignée. En effet, n’ayant ni l’obligation, ni la vocation à entrer en propriété de ces terrains, les collectivités négligent fréquemment cet aspect qui peut être financièrement très lourd et qui, en l’absence d’accord amiable, nécessite la mise en œuvre d’une procédure spécifique.

Pour autant, et dès lors que ces périmètres de protection entraînent une importante restriction aux usages possibles des parcelles concernées, et donc au droit de propriété, tout propriétaire (ainsi que tout locataire impacté) doit recevoir une indemnisation.


Les principes procéduraux

Qui est compétent ? En application des articles L.1321-3 du Code de la Santé Publique et L.332-2 du Code de l’Expropriation, seul le Juge de l’Expropriation est compétent pour assurer l’indemnisation des servitudes de captage.

Sera donc irrecevable toute action initiée devant le Juge Administratif (par exemple, CAA Nantes, 18 avril 2014, n°12NT02232) ou devant le Tribunal de Grande Instance (par exemple, TGI Quimper, 27 mars 2015, n°14/02419).

Quels préalables à la saisine du Juge ? La procédure de saisine répond aux exigences formelles du Code de l’Expropriation. Ainsi, ni une collectivité, ni le propriétaire ne peuvent saisir directement le Juge de l’Expropriation, sauf à ce que leur action soit déclarée irrecevable (par exemple, Juge de l’Expropriation de Brest, 25 mars 2016, n°15/00006).

La collectivité doit, en effet, notifier préalablement des offres dans les conditions prévues par l’article R.311-5 du Code de l’Expropriation. S’ouvre alors un délai d’un mois à l’expiration duquel, en l’absence d’accord du propriétaire (ou du locataire) concerné, une saisine du Juge de l’Expropriation devient possible.

Si la collectivité s’abstient de présenter ses offres, l’article R.311-7 du Code de l’Expropriation permet à tout propriétaire ou locataire de la mettre en demeure d’y procéder. A l’expiration du délai d’un mois à compter d’une mise en demeure infructueuse, une saisine du Juge de l’Expropriation est possible.

Quel formalisme en matière de saisine du Juge de l’Expropriation ? En la matière, s’applique la procédure classique de saisine du Juge de l’Expropriation. Celui-ci est ainsi saisi par l’envoi, en deux exemplaires et en recommandé, d’un mémoire indiquant le montant demandé ou offert pour l’indemnité principale et les éventuelles indemnités accessoires. Ce mémoire, qui doit répondre aux exigences de l’article R.311-12 du Code de l’Expropriation, doit également comporter l’exposé des arguments de chacune des partie et les pièces justificatives.

Quelle procédure devant le Juge de l’Expropriation ? Ici encore, la procédure suit le régime de l’expropriation classique avec un Transport sur les lieux du magistrat et une audience à l’issue de ce transport.


 

Les principes de calcul de l’indemnisation

Bien que de longs développements pourraient être consacrés aux différentes indemnisations envisageables, les principes généraux applicables en la matière conduisent à retenir trois séries d’observations.

L’indemnité principale due au propriétaire : S’agissant de l’indemnisation d’une servitude, l’indemnité versée  au propriétaire doit correspondre à la dépréciation de la valeur du bien générée par les interdictions et restrictions d’usage.

L’étendue de cette dépréciation dépend de l’étendue des contraintes prévues par la déclaration d’utilité publique : la dévalorisation sera d’autant plus importante que l’utilisation  de la parcelle est réduite.

En la matière, des protocoles définissant des cadres d’indemnisation ont été négociés à l’échelle de chaque département. La grille ainsi fixée est quasi-systématiquement suivie par le Juge de l’Expropriation lorsqu’il se trouve saisi.

De fortes disparités existent, en la matière, entre les départements :

  • Dans le Finistère, le protocole du 2 juin 1993 et son avenant du 17 avril 2001 prévoient une indemnisation des périmètres de protection rapprochée correspondant à :
    • 70% à 80% de la valeur vénale pour les terres agricoles et prairies permanents
    • 10% de la valeur vénale pour les bois et les landes
  • En Saône et Loire, le protocole signé en 2010 prévoit une indemnisation correspondant à :
    • 10 à 25 % de la valeur vénale pour des parcelles en culture subissant une obligation de remise en prairie
    • 5% de la valeur vénale pour des parcelles ne subissant par d’obligation de changement d’occupation du sol
  • En Vendée, le protocole conclu en 2014 prévoit une indemnisation basée sur un cumul des contraintes générées par le périmètre :
    • 11 % de la valeur vénale pour un impact sur le titre de propriété ou la valeur locative ;
    • 50 % de la valeur vénale pour une interdiction de défrichement des bois de moins de 4ha,…
  • Dans la Manche, le protocole conclu en 2011 prévoit une grille d’indemnisation correspondant à 5 % à 50 % de la valeur vénale suivant la nature des terres (terres labourables, prairies permanentes) et le degré de contrainte généré par la servitude

En plus de cette perte de valeur vénale, certains protocoles acceptent également d’indemniser les pertes de fermage entraînées par l’instauration des périmètres.

Au-delà des protocoles, si les servitudes instaurées interdisent toute nouvelle construction et entraînent, par voie de conséquence, le déclassement des parcelles (passage de zone U ou AU en zone N ou A), ce déclassement doit également donner lieu à indemnisation (Cass. Civ. 3ème, 9 octobre 2013, n°12-13.694).

Absence d’indemnité de remploi : En matière d’indemnisation des servitudes de protection de captage, les juridictions judiciaires ont exclu toute indemnité de remploi (Cass. Civ. 3ème, 9 octobre 2013, n°12-13694).

En effet, et dès lors que le propriétaire n’est pas privé de la propriété de son bien, il n’aura pas à exposer de frais d’acquisition, lesquels constituent le fondement de l’indemnité de remploi.

L’indemnité principale due au locataire : Tout comme le propriétaire, le locataire est impacté par l’instauration des périmètres de captage. En particulier, l’exploitant agricole pourra ne plus poursuivre le même type de culture ou d’exploitation ou se verra privé d’une partie de son plan d’épandage.

L’indemnisation devant revenir au locataire correspond alors à la perte de marge brute entraînée par les restrictions qui lui sont imposées.

Ici encore, les modalités de détermination de cette perte sont très largement définies par des protocoles départementaux négociés entre les représentants des collectivités et de l’Etat et les représentants des professions agricoles.

A l’instar des régimes applicables aux propriétaires, les modalités d’indemnisation sont très variables d’un département à l’autre :

  • En Ardèche, le protocole conclu en 2005 applique un pourcentage, en fonction de la nature du terrain et du degré de contrainte, à la marge brute calculée sur trois années.
  • En Finistère, l’indemnisation de l‘exploitant d’un terrain compris dans un périmètre de protection rapprochée équivaut à trois années de marge brute ;
  • Dans la Manche, le protocole conclu en 2011 prévoit une grille d’indemnisation correspondant à 0 % (Mairais) à 75 % de l’indemnité d’éviction calculée en cas d’expropriation. Le pourcentage varie suivant l’affectation des terres (terres labourables, prairies permanentes, Mairie,…) et le degré de contrainte généré par la servitude

Au final, s’il n’est pas possible d’entrer davantage dans les détails ici, l’indemnisation des périmètres de captage répond à une véritable technicité, de forme et de fond, nécessitant bien souvent l’accompagnement, tant pour les collectivités que pour les propriétaires exploitants concernés, d’un professionnel.

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